Si vous n’avez pas eu l’occasion de voir l’exposition de Miguel Rio Branco à l’espace d’exposition Le Bal, vous aurez encore une dernière chance. Le Bal ouvre à nouveau ses portes à partir du 16 décembre. Pour en connaître davantage , Marc Pottier nous raconte le parcours de ce grand photographe brésilien.
Avec Miguel Rio Branco, Dieu perd le pouvoir, l’homme n’est plus à son image.
Par Marc Pottier
C’est la représentation de l’irreprésentable qui l’intéresse et ses œuvres font apparaitre le néant de l’humanité. Il prélève la matière de son écriture dans les images des déserts du monde, à la limite la plus ténue entre le vivant et le non vivant, entre l’humain et l’inhumain, entre la forme et l’informe où il « asphyxie la réalité ». Il aiguise aujourd’hui notre curiosité au BAL et aux murs de la gare de l’Est.
Un travail sur le temps et les marques qu’il apporte
« Toute photographie est par nature un document mais mon intention n’a jamais été de documenter. Je capture par la photographie des fragments dissociés, épars de réel, tentant de répondre viscéralement à une question : pourquoi la vie doit-elle être cela » confie-t-il. Miguel, plutôt connu pour ses photographies, est, en fait, un vrai peintre. Ses photographies, ses films, ses installations multimédias ont une incroyable matière picturale et montrent combien il est un coloriste de premier plan. Ses cadrages sont souvent serrés avec un arrière-plan qui perd toute profondeur, mettant ses personnages et le regardeur dos aux murs. Quand il parle de ses influences, ce sont des peintres auxquels il fait référence. Il pense à l’audace de Robert Rauschenberg (1925-2008) qui disait vouloir travailler dans l’intervalle entre l’art et la vie. Les deux artistes ont ce point commun de vouloir abolir en art le principe de l’expression de soi. Les surfaces de leurs compositions-assemblages hybrides sont des miroirs prêts à accueillir le reflet du monde. Chaïm Soutine (1893-1943), bien entendu vient dans le haut de sa liste, avec son mythe de l’artiste maudit et sa fascination pour la chair et le sang du cadavre dans son ultime nudité.
Un caméléon attentif
Ce fils de diplomate, né à Las Palmas en 1946, est un artiste franco-brésilien déraciné qui a pris l’identité de tous les pays ou grandes villes où il a eu l’occasion de vivre : Argentine, Portugal, Suisse, New-York… marginal, victime de brimade au Brésil parce qu’il parlait portugais avec l’accent du Portugal. Très exigeant avec les autres mais surtout avec lui-même, Miguel Rio Branco, agacé par la vulgarité du monde politique ambiant, vit aujourd’hui retranché en famille dans sa grande maison d’Araras (Petrópolis dans les hauteurs de Rio) avec sa fille Clara, sa dernière femme, l’artiste serbo-hongroise Isidora Gajic et leur jeune fils Dimitri. Il dirige désormais à distance ses expositions qu’il nomme en riant de ‘posthumes’. Il saura ainsi comment cela se passera après lui !
L’indépendance et la curiosité avant tout
Toujours un pied dehors, ce petit-fils de la grande aristocratie brésilienne n’a pas hésité à vivre dans les quartiers pauvres de l’East Village de New-York, où Il s’est lié d’amitié avec son iconique compatriote Hélio Oiticica (1937-1980), ce dernier bien connu, entre-autre, pour son interrogation « Marginaux ou héros ? Marginaux et héros ? ». De retour au Brésil, Miguel Rio Branco a vécu successivement dans le Nordeste défavorisé, avec les chercheurs d’émeraudes, puis dans le quartier insalubre du Pelourihno, à Salvador de Bahia, qui abritait alors, des familles déshéritées et des prostituées.
« Out of nowhere »
Sa collaboration avec l’agence Magnum dans les années 1980 a été un moyen d’affirmer son œuvre personnelle. Il garde surtout un bon souvenir de son projet chez les Caiapó au sud de la région du Pará. C’est ce qui lui a donné l’occasion de créer sa première installation de projections d’images « Dialogo com Amaù » qu’il a montré à la 17ème biennale de São Paulo (1983). Il s’agit d’une série de portraits d’Amaù, un indigène paria de la tribu, car sourd et muet, dont Miguel a capturé la douceur et la mélancolie. Dans cette installation, viennent se mêler des images qui retracent le Brésil de l’extraction de l’or.
Le pavillon d’ Inhotim
On retrouve cette œuvre dans le pavillon qui lui est consacré dans le fameux jardin botanique-institut d’art contemporain https://www.inhotim.org.br/ (expérience incontournable pour les amateurs d’art qui viennent au Brésil) que Miguel a conçu comme une expérience d’immersion dans un espace sombre sans aucune communication avec l’extérieur. Le public, sans aucune autre ‘distraction’, est mis face au ‘diptyque de l’enfer’, ‘la touche du diable’, ‘masque de douleur’, mais aussi sa superbe série de 34 photographies ‘Maciel’ (1979), nom d’un quartier de Salvador de Bahia quand il s’est intéressé à dépeindre la prostitution et les histoires de violence qui y régnaient. ‘Blue Tango’ (1984) série qu’on retrouve aujourd’hui considérablement agrandie accrochée aux grilles de la gare de l’Est à Paris, viennent apporter un peu d’’humanité’. On y voit deux adolescents dansant la capoeira, un art martial afro-brésilien, une forme de combat stylisé où personne n’a le droit de se toucher, qui aurait ses racines dans les techniques de combat des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil. Elle se distingue des autres arts martiaux par son côté ludique et souvent acrobatique.
La Peau du temps
Marqué dans son adolescence par « Play Boy Magazine » ou les livres sur les camps de concentration qu’il a trouvé dans la bibliothèque de son père, Miguel Rio Branco saisit dans son œuvre ‘purgatoire’ les corps de l’Homme, leur gloire mais surtout leur fatigue, leurs rides et leurs cicatrices, leur pudeur mais encore plus leurs exhibitionnismes. Comme chez Le Caravage (1571-1610) les enfants ont les mains sales. Comme chez le photographe anglais Bill Brandt (1904-1983) qu’il admire, il n’hésite pas à montrer le corps de la femme nue, tronqué ou distordu. Toutes ces images sont admirablement mises en scènes dans les livres, carnets de notes, qu’il conçoit comme un support d’expression essentiel et qui font partie de son discours poétique sur les ruines du monde.
Entendre le moindre bruit
« Seul un petit nombre d’entre nous, au milieu des grands agencements de cette société, se demande encore naïvement ce qu’ils font sur le globe et quelle farce leur est jouée. Ceux-là veulent déchiffrer le ciel ou les tableaux, passer derrière ces fonds d’étoiles et ces toiles peintes, et comme des mioches cherchant les fentes d’une palissade, tâchent de regarder par les failles de ce monde. » Georges Bataille est souvent cité quand on lit sur Miguel Rio Branco et son « réalisme exorbité »
Miguel Rio Branco avance les yeux grands ouverts. Par son oeuvre nous apprenons, confiants ou effrayés qu’existent des chemins inconnus. Photographier, peindre, créer en général est un parcours vital pour rester les yeux ouverts et rencontrer le monde. Il nous parle des lieux où s’exerce sa liberté. Il nous montre ce temps d’extrême écoute où il s’agit d’entendre comme le nomade du désert, le moindre bruit du monde. Une expérience où on ne sort pas toujours indemne.
Le 8 décembre, l’Institut Moreira Sales ( IMS ) ouvre au siège de São Paulo une belle exposition de Miguel Rio Branco « Mots croisés, rêvé, déchiré, volé, utilisé, saigné« , accompagné d’un lancement du livre.. Le jour de l’ouverture, à 18h, il y aura aussi un live avec le photographe sur la chaîne YouTube IMS, avec la participation du commissaire de l’exposition et coordinateur de l’espace Photographie contemporaine IMS, Thyago Nogueira.
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