Iandé a le plaisir de publier la première collaboration de Marc Pottier dans notre plateforme. Nous continuons à construire des passerelles pour que la photographie brésilienne ait la visibilité qu’elle mérite en France. Cette collaboration nous rend encore plus désireux de travailler pour que cette connexion entre la France et le Brésil s’épanouisse et devienne éternelle. Chacun des artistes présentés ici est une source inspirante d’un monde à construire après la pandémie.
Felippe Moraes
Par Marc Pottier, curateur d’art français qui vit entre Paris et Rio de Janeiro
4 août 2020
Ne vous trompez pas, si les installations comme Solfejo (montrée en 2019 à la FIESP) et les projets tels que Eledà, (sa toute nouvelle série de photographies), de Felippe Moraes semblent pensés et organisés avec un ordre très précis et déterminé, ce n’est qu’une préparation, une ‘mise en jambe’. Il s’agit d’une introduction pour vous faire entrer dans un monde complexe, souvent interactif, où votre pensée va être très sollicitée, quitte à s’y perdre un peu. S’il y a de la rigueur de Mondrian chez Felippe Moraes, on y retrouve aussi un peu de la fièvre de Joseph Beuys.
Je cite ces deux artistes car avec l’œuvre de Felipe Moraes, on ne peut s’empêcher de penser à l’anthroposophie de Rudolf Steiner (1861-1925) qui les aura tous deux beaucoup marqués. Rappelons que l’anthroposophie tire sa conception du karma et de la réincarnation et aussi du christianisme (l’idée du Christ en tant que sauveur du monde). Il affirme l’existence d’un monde spirituel qui est à la base du monde matériel. La thésophie, théorie de la sagesse divine omniprésente dans le monde, de la doctrine formulée par Helena Blavatsky (1831-1891) additionnée d’occultisme, de spiritisme et d’emprunts à l’hindouisme et au bouddhisme…promet de révéler des vérités fondamentales sur l’ordre du monde, tout en tenant à distance des vieux monothéismes devenus Eglises et de la rationalité scientifique moderne qui couperaient l’Homme de la Nature.Avec Eledà, Felipe Moraes introduit le culte et le rituel afro-brésilien qui fait partie intégrante de sa pensée et de sa vie.
Dans l’œuvre Homenagem a Oxalà que l’artiste m’a demandé de commenter plus particulièrement, Il se considère comme une sculpture vivante. Chaque être vivant est en lui-même. C’est une série de quatre images où on voit l’artiste de dos nu. Sa tête passe de l’état chauve, à celui où ses cheveux sont coupés au ras pour qu’enfin on le voit avec une coiffure teintée blonde. A vous de décider de l’ordre. S’est-il rasé pour effacer la blondeur ou au contraire a-t-il attendu que ses cheveux repoussent pour se transformer et se couvrir la tête d’un or symbolisé ?. Cette œuvre photographique fait de sa vie une mise en scène. L’art comme catharsis, singulière et collective. ‘L’œuvre d’art pénètre la personne comme la personne internalise l’œuvre d’art, il doit être possible qu’elles se noient complètement l’une dans l’autre’ pensait Joseph Beuys
Felipe Moraes est un chaman optimiste d’une pre-apocalypse annoncée par le coronavirus. Ce fanatique de carnaval voit en toutes choses les énergies positives et les liens invisibles qui nous lient entre nous tout comme avec la Nature.
Après son geste purificateur de son Homenagem a Oxala, où il nous laisse le regarder, lui qui regarde l’infini, peut-être, en nous faisant entrer dans ton rituel, veut-il assigner à l’Homme sa place réelle dans le plan de l’univers, nous sauver de la dégradation des vérités archaïques qui sont à la base de toutes les religions et nous aider à découvrir jusqu’à un certain point, l’unité fondamentale dont toutes ont jailli…
Le poète dont parle Heiddegger, est celui qui, par sa création, manifeste le mystère du monde à défaut de pouvoir le montrer …. Il tente de retrouver l’essence de la vie et de son émergence. Il est en quête d’une mémoire historique, humaine qui se nourrit d’abord de ses souvenirs personnels pour fonder un passé commun. Felippe Moraes est bien un poète.